Intelligence artificielle : pour cette association de Saint-Germain-en-Laye, c'est "une catastrophe"

Cédric Sauviat, de l'Association française contre l'intelligence artificielle (AFCIA) créée en 2015 à Saint-Germain-en-Laye, veut susciter le débat sur ses conséquences. Interview.

Cédric Sauviat est président de l'Association française contre l'intelligence artificielle (AFCIA), créée en 2015 à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).
Cédric Sauviat est président de l’Association française contre l’intelligence artificielle (AFCIA), créée en 2015 à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).
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Actu : Comment êtes-vous arrivés à vous positionner contre l'intelligence artificielle ?

Cédric Sauviat : L'intelligence artificielle (IA) est une préoccupation pour moi depuis une vingtaine d'années. À l'origine, l'inquiétude est venue à partir des années 2000 lorsque la notion de singularité a commencé à être véhiculée. C'est le fait que le progrès technologique en informatique et en biotechnologie est tellement rapide qu'il finit par s'emballer et à échapper à tout contrôle et qu'il finit par donner naissance à une l'intelligence artificielle consciente d'elle-même et qui évolue vers la superintelligence.

Quel est le but de l'association ?

C. S. : L'association a été créée car nous considérons que l'IA est une catastrophe et que le projet de la développer doit être combattu bec et ongles. On se doute bien que ce n'est pas dans l'ère du temps. Les politiques en France ne prendront pas la responsabilité de prendre une position d'adversaire de l'IA. C'est pour cela que nous essayons de la promouvoir dans le grand public pour essayer d'instiller le doute dans les esprits. C'est un sujet passionnant pour les chercheurs et les jeunes s'engouffrent dans cette voie avec d'autant plus d'intérêt que c'est très porteur économiquement, mais sans forcément voir les inconvénients.

Quels sont pour vous les risques que fait peser l'IA sur notre société ?

C. S. : Il y en a trois. Il y a le risque technologique, c'est-à-dire que l'IA peut se retourner consciemment ou inconsciemment contre la population, qu'elle échappe au contrôle. Le deuxième concerne les problèmes sociaux économiques avec la disparition des emplois que cela va entraîner. Enfin, le troisième risque est de nature anthropologique. C'est-à-dire, qu'est ce qui fait le sens de l'existence humaine quand vous avez des machines qui sont en concurrence permanente. Quel sens les enfants qui viennent au monde peuvent trouver à leur vie quand ils sont en concurrence avec des IA qui sont plus douées. Aujourd'hui, c'est le véritable problème. C'est ça qui, pour nous, est primordial. C'est cette démoralisation de l'humain par la machine qui est le plus grave. Mais, ce n'est pas ça qui fera réagir les foules. Dans une société du confort et de la sécurité, on est prêt à sacrifier l'épanouissement psychologique des enfants, comme la crise du Covid l'a montré.

N'y a-t-il rien de bon dans l'IA ?

C. S. : On ne conteste pas les mérites de l'IA dans un certain nombre de domaines comme la médecine qui représente un pourcentage minime de son utilisation. Sauf qu'aujourd'hui l'IA sert à s'infiltrer dans la vie des consommateurs pour pouvoir leur vendre des produits. C'est extrêmement consumériste et c'est du marketing. Cela sert pour moins d'1 % pour des usages avouables, mais la plupart du temps ce n'est pas le cas. Aujourd'hui, la plupart des entreprises qui la développent en réalité n'apportent rien. On pourrait faire sans. Le danger c'est que chacun d'entre nous, entreprises ou particuliers, subisse la pression de l'IA à des fins qui, sans être nécessairement délictuelles, seraient nuisibles. L'IA c'est certainement une source de profits pour certains, mais c'est une source de nuisances pour à peu près tout le monde.

La coexistence entre l'homme et l'IA est-elle possible selon vous ?

C. S. : Je pense qu'une configuration stable de coexistence entre l'intelligence artificielle et l'humain n'est pas possible. Parce que l'IA progresse de manière fulgurante. La stabilité n'est donc pas possible. Le temps de la politique est dépassé par le progrès technique. On essaye d'élaborer des lois pour des choses qui ont déjà 10 ans d'existence. Le temps de réaction des sociétés est relativement lent. En face de cela, il y a une prolifération et un usage qui est non réglementé. Par exemple, la bio technologie a été sévèrement limitée par tout un tas de règles comme, par exemple, l'interdiction du clonage, mais pour tout ce qui est électronique on en est très loin. Il n'y aura pas véritablement de stabilité possible. La seule manière pour que la coexistence puisse se faire c'est par une interdiction pure et simple du développement de l'IA. Et on y viendra, je suis assez optimiste. On va passer par des catastrophes mais un jour ou l'autre on y viendra. Cela paraître impensable de revenir à la situation que l'on connaît aujourd'hui

Comment éviter cette catastrophe que vous annoncez ?

C. S. : Il n'y a pas vraiment de solution. Je pense que nous passerons forcément par là. On voit bien qu'il n'est pas envisageable de faire une pause. Le problème c'est que nous sommes sur une technologie qui est utilisée par tout le monde dans des conditions qui sont non contrôlées où chaque laboratoire essaye de développer son IA dans son coin, de lui faire apprendre des choses, etc. comme ce qu'on fait les concepteurs de Chat GPT, en particulier.

N'y a-t-il vraiment aucun espoir de contrôler l'IA avant qu'il ne soit trop tard ?

C. S. : On n'y arrivera pas. On voit bien aujourd'hui qu'il y a peu de gens qui sont contre. Il a une sorte de déni et un enthousiasme autour de l'IA. Il peut éventuellement y avoir un consensus occidental pour en limiter l'usage mais cela n'inclut ni la Russie, la Chine ou les pays émergents. Avant d'imaginer que l'on puisse édicter de lois pour limiter l'IA, ce n'est pas demain la veille.

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Le moratoire demandé par Elon Musk et des experts peut-il aider votre cause ?

C. S. : Elon Musk vient de mettre les pieds dans le plat en disant qu'il faudrait faire une pause. C'est extrêmement hypocrite de sa part car c'est le premier à avoir voulu la développer, mais cela a le mérite de faire ressentir au public la possibilité que l'on aille trop vite. C'est ce que disent aussi d'autres spécialistes. Maintenant qu'il l'a dit, peut-être que cela va faire réfléchir les gens. »

Ingénieur diplômé de l’École Polytechnique, chef d’entreprise, Cédric Sauviat est coauteur, avec Marie David, d’« Intelligence artificielle. La nouvelle barbarie », aux Éditions du Rocher. Association française contre l’intelligence artificielle (AFCIA)

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